Deux journées de travail en atelier de plus. Grosses journées encore mais, ça y est, le projet porte est terminé. Enfin il ne me reste plus qu'à faire la patine et la couche de finition. Dévoilement vendredi 8 mars.
En cette fin d'après-midi du mardi 6 mars, j'ai aussi fait une démonstration du travail à la forge dans le parc de l'Institut Français de Kénitra.
Jamais je n'ai eu autant de difficultés pour forger une pièce. Pourtant j'avais prévu une création simple : la mise en forme de "pelures" (voir sur mon site la thématique Exploitation). Mais voilà, je suis ici en résidence, donc en itinérance, et ce n'est pas mon matériel ni mes outils habituels que j'utilise. Et ce qui m'a posé problème, c'est le charbon utilisé ici par les artisans pour forger. Il s'agit d'un charbon issu directement de la mine, ni trié ni nettoyé. Un charbon qui, dans le foyer de la forge, dégage des fumées qui irritent immédiatement la gorge. Un charbon qui produit énormément de mâchefer (scories qui restent après la combustion du charbon). Or ce mâchefer obstrue la tuyère de la forge, formant une croute qui ne brûle pas mais colmate les arrivées d'air pulsé nécessaires pour aviver le feu et obtenir la température indispensable pour amener l'acier à température de forgeage. Résultat : un feu qui ne chauffe pas suffisamment et dont il faut, toutes les 5 min, éliminer les scories... et donc un temps de travail énormément allongé, chose qui n'est pas satisfaisante pour une démonstration en public qui exige, au contraire, une action rapide pour être un tant soit peu intéressante si ce n'est spectaculaire.
Ce soir c'était loin d'être spectaculaire!
En revanche, je comprends pourquoi ce que l'on connait de l'artisanat du fer du Maroc se limite à du fer de petite section forgé en volutes.
Après renseignement, je comprends qu'ici, on forge avec ce charbon qui vient directement des mines de charbon de Jerada. Mines clandestines appelées "mines de la mort", anciennement exploitées par les Charbonnages du Maroc jusqu'en 1998 et fermées depuis. Aujourd'hui "des milliers de pauvres hères s’adonnent, désarmés, à cette galère de mineur sans casque, sans masque, sans éclairage, sans outils appropriés et dans des boyaux à peine suffisants pour faire glisser leurs corps décharné et faire remonter en surface le minerai arraché aux veines de plus en plus profondes, de plus en plus risquées" (https://www.medias24.com/MAROC/CULTURE/179209-Jerada-pourquoi-la-mine-a-ete-fermee-et-les-promesses-non-tenues.html).
Voir aussi :
https://www.huffpostmaghreb.com/2017/12/27/mines-de-jerada-maroc_n_18909372.html
La galère dans laquelle je me suis trouvée à forger en public avec ce charbon loin de la qualité de charbon de forge que j'utilise en France, n'est donc rien à côté de celle des mineurs clandestins qui risquent leur vie pour gagner une misère.
Alors tant pis.
Demain, pour une autre démonstration, je tenterai l'utilisation d'une forge sans tuyère comme le font les artisans d'ici. A suivre.
J'ai quand même envie de vous raconter une brève rencontre pendant ma démonstration de forge. Une femme, accompagnée de son très jeune fils (environ 6 ans), m'a fait signe pour que je m'approche. Et cette femme, qui porte le voile, m'a dit "bravo madame, c'est bien de voir une femme faire le travail comme les hommes!". Et comme je lui confirmais qu'effectivement une femme était en capacité de faire beaucoup de choses comme un homme et que, si la force physique lui manquait parfois, il était possible de trouver des solutions pour dépasser ce problème, elle m'a répondu "oui il faut être plus intelligente!". J'ai souri. Elle est parti en souriant aussi, après avoir montré à son fils ce qu'il n'aura pas souvent l'occasion de voir ici : une femme qui forge. Et j'ai eu un sentiment proche de celui du devoir accompli. Merci Madame, à vous aussi.
Ici au Maroc, je vois, d'une manière qui me semble de plus en plus évidente, un parallèle entre mon sujet de travail qui est le rapport de l'être humain à la nature, et celui du rapport de l'homme à la femme.
Comentários